Le dessous du recrutement

Anne Donou, Directrice Suisse Romande von Rundstedt

En collaboration avec HT Today, von Rundstedt lance une nouvelle étude. Le thème de l’étude cette année : les pratiques des entreprises en matière de recrutement. Nous souhaitons comprendre comment la pénurie de main d’œuvre et l’IA influencent les processus de recrutement et le comportement des recruteurs d’une part, et ce que cela signifie pour les demandeurs d’emploi d’autre part. Une série d’articles paraîtra dans chaque numéro de HR Today et détaillera une étape du processus de recrutement.

Comment entamer une conversation avec l’entreprise de mes rêves ? Comment me démarquer de mes concurrents ? Qu’est-ce qui fait la différence ? Nous lançons une enquête dans toute la Suisse et souhaitons capturer les expériences et les développements récents en matière de recrutement. Les résultats seront publiés en octobre 2024.

Déjà aujourd’hui

L’IA s’infiltre partout dans les processus de recrutement : les Applicant Tracking Systems (ATS) scannent et filtrent froidement les CV selon les mots-clés, les chatbots engagent les candidats en temps réel, les algorithmes prédictifs connaissent le potentiel des candidats mieux que les candidats eux-mêmes, la planification automatisée des entretiens économise du temps et réduit les confits d’agenda, l’anonymisation des profils réduit les biais en se concentrant sur les compétences techniques et pas sur les informations personnelles… Les entreprises adoptent les Jeux Sérieux qui intègrent de l’IA. Basés sur les neurosciences et l’IA ces jeux permettent d’évaluer les capacités cognitives (mémoire, attention, flexibilité cognitive…) et comportementales (collaboration, communication, prise de risque, gestion du stress…) et de proposer des axes de développement. Ils s’adaptent en temps réel et le jeu peut devenir plus difficile ou plus facile selon les performances des candidats. L’IA associe ensuite les candidats aux profils d’emploi disponibles et appropriés. En résumé, l’IA transforme le recrutement, améliore l’efficacité, réduit les biais et améliore l’expérience candidat. Cependant, l’IA ne mène pour l’instant pas à de meilleures décisions ni à plus de qualité dans le processus de sélection.

Et demain ?

Le matching avancé prendra en compte l’adéquation culturelle et les compétences sociales avec beaucoup plus de précision. L’expérience candidat personnalisée permettra de faire des recommandations d’emplois pertinentes et proposera des suggestions de développement basé sur les objectifs de carrière individuels ou même sur les besoins futurs du marché. Les évaluations de compétences (Assessment Center) seront automatisées et interactives. L’IA assistera en temps réel les recruteurs pendant les entretiens pour leur suggérer des questions, des points à creuser, à partir des échanges et des signaux non-verbaux. L’IA permettra aux entreprises d’obtenir des données en temps réel sur le marché du travail et les aidera à adapter leurs stratégies aux conditions changeantes et à la concurrence. Enfin l’IA continuera de jouer un rôle important dans la promotion de la diversité et de l’inclusion en identifiant les biais à chaque étape du processus de recrutement.

Et l’humain dans tout ça ?

Pas d’inquiétude, l’humain est plus nécessaire que jamais ! L’IA a ses failles et ses moments de « bug » : elle peut classer des candidats comme inadéquats alors qu’ils seraient en réalité parfaits pour le poste, ou pire promouvoir un employé parfait sur le papier mais inadapté en réalité. Les anecdotes d’algorithmes discriminants ne manquent pas. Nous avons encore en tête les biais des algorithmes d’Amazon ou Unilever qui auraient favorisé les CV des candidats masculins, l’Apple-Card de Goldman Sachs qui aurait offert des limites de crédit inférieures aux femmes, IBM et la question des biais d’âge, ou encore Facebook et les questions démographiques. L’introduction involontaire de biais lors de l’entraînement des modèles d’IA ou à travers les données utilisées, peut conduire à des sélections inefficaces, discriminantes ou qui passent à côté des Soft Skills. Cela a déjà appelé les autorités réglementaires de l’Union européenne à agir. Nous devons supposer que l’IA déclenchera donc probablement une nouvelle vague de régulation et de conformité dans un avenir proche.

Les défis

Bien que l’IA ait réalisé des avancées significatives dans les processus de recrutement, il existe encore de vastes domaines dans lesquelles elle se révèle incompétente : la prise de décision complexe pour les rôles qui nécessitent de bien appréhender l’expertise spécifique au métier ou à l’industrie, l’évaluation de la créativité ou de l’intelligence émotionnelle. L’évaluation de l’empathie, de l’agilité au travail, la capacité à développer des réseaux, le travail en équipe sont essentiels et restent encore des défis pour l’IA. Dans les entretiens, l’IA peine encore à évaluer les réponses ouvertes, ou les nuances spécifiques à une expérience, qui sont essentielles pour prendre des décisions éclairées. Et parlons de l’adoption de l’IA dans les entreprises : les employés ne sont ni informés ni formés et se montrent passifs voire réticents.

La part qui doit rester humaine

L’interaction humaine dans la sélection des CV, dans les entretiens d’embauche ou dans les Assessment Centers reste cruciale pour évaluer les compétences relationnelles, l’adéquation culturelle et les traits comportementaux complexes. Les entretiens nécessitent de l’empathie et la capacité d’évaluer les candidats au-delà de leurs qualifications. La décision finale d’embauche prend en compte des facteurs subjectifs : a-ton envie de recruter ce candidat, de le voir dans ses réunions et de le croiser à la machine à café tous les matins ?! L’IA ne peut pour le moment pas tout comprendre.

L’IA malgré ses progrès remarquables est encore confrontée à plusieurs difficultés techniques : le manque de discernement lui fait donner des réponses imprécises, la dépendance aux données conduisent à de mauvaises interprétations. La protection des données privées en lien avec la LPD et la RGPD pose des problèmes de taille en Suisse. Atteindre une compréhension de niveau humain, avec du bon sens et des capacités de raisonnement reste un objectif à long terme pour la recherche en IA.
Alors oui, l’IA redéfinit complètement les processus de recrutement. Aujourd’hui aucune entreprise ne peut fonctionner sans téléphone, sans internet, sans site web. Ce sera pareil demain avec l’IA. Elle enthousiasme certains, fait peur à d’autres. La question de fond est finalement relative à l’éthique : doit-on tout donner à l’IA ? Tant que l’humain garde la main, l’IA semble bénéfique dans les processus de recrutement. Elle conseille, suggère mais ne doit ni choisir ni avoir le dernier mot. C’est indiscutable, les considérations éthiques et légales, les questions liées à la diversité et à la non-discrimination, nécessitent une supervision humaine afin de garantir l’équité et la conformité.

Peut-on faire sans l’IA ?

Puisqu’elle est incontournable, il est donc urgent pour chacun de se forcer à repenser son rôle, à réévaluer ses compétences et à redécouvrir quelle sera sa valeur ajoutée dans le futur. Que vous soyez recruteur ou candidat, ou peu importe votre métier, cadres, non cadres : l’IA ne va pas vous remplacer, mais celui qui fait le même métier que vous et qui utilise l’IA… Oui !


Comment recrutez-vous dans votre entreprise ? – Nous avons besoin de votre avis !

Nous invitons toute la communauté RH suisse, à participer à l’enquête de von Rundstedt sur les « Tendances du Recrutement ». Quelles sont les pratiques de recrutement dans votre entreprise et dans votre entourage ? Les résultats de l’enquête seront analysés en automne et publiés en octobre dans HR Today.
Participez à l’enquête ici