Les entreprises se ruent pour attirer les «digital natives», comme s’il n’existait plus que cette génération. Et les autres? Que sait-on des attentes et des compétences des plus de 50 ans? Pire: s’y intéresse-t-on seulement? Dans un monde où l’on parle sans cesse d’inclusion, comment tolère-t-on que l’âge reste l’un des derniers angles morts du débat RH?
La réalité est brutale: nos entreprises investissent massivement dans le recrutement et la fidélisation des jeunes, tout en laissant de côté celles et ceux qui ont de l’expérience, du savoir-faire et, souvent, l’envie de continuer à contribuer. Il est temps d’opposer à cette obsession de la jeunesse une autre vision du travail: celle qui valorise chaque génération pour ce qu’elle a à offrir.
Le regard des managers: premier levier à actionner
Les études le montrent: les stéréotypes liés à l’âge sont tenaces. Et plus encore, ce sont souvent les jeunes managers eux-mêmes qui évaluent le plus sévèrement leurs collègues ou candidats plus âgés. Résultat: des talents expérimentés sont écartés, invisibilisés ou, au mieux, sous-exploités. Et ce, alors même qu’une majorité d’entre eux seraient prêts à continuer à travailler au-delà de l’âge légal, à condition qu’un vrai dialogue ait lieu.
Le défi est clair: sortir du tunnel des préjugés pour adopter une posture d’écoute, de respect et de curiosité vis-à-vis de tous les collaborateurs, quel que soit leur âge. Cela suppose que les cadres dirigeants fassent d’abord leur propre introspection: quelles idées reçues influencent (encore) leurs décisions? Quelle place font-ils à la diversité générationnelle dans leur leadership? C’est cette ouverture qui rendra possible un véritable management intergénérationnel – et permettra, in fine, de créer un environnement où chacun, quel que soit son âge, peut donner le meilleur de lui-même.
50 ans et alors? Le moment clé pour planifier la suite
C‘est à partir de 50 ans qu’il faut ouvrir les discussions sur la suite du parcours professionnel. Pas à 60. Pas à la veille de la retraite. Pourquoi? Parce que c’est encore le bon moment pour repenser ses compétences, ses envies, ses marges de manoeuvre. Faire le point sur ses forces, ses zones de fragilité, ses aspirations, ses limites aussi. Et surtout, construire un projet clair, motivant, réaliste. Un plan de développement qui donne du sens et prépare les prochaines années.
Pour les entreprises, ces «bilans 50+» sont une mine d’or: ils révèlent des potentiels, des pistes d’évolution, des dynamiques insoupçonnées. Ils montrent aussi que les plus de 50 ans ne forment pas un bloc homogène. Ce sont des parcours, des histoires, des ambitions uniques. À condition, bien sûr, que l’entreprise sache écouter – et agir en conséquence.
Réinventer le Talent Management à l’heure grise
Trop souvent, le management des talents s’arrête à 45 ans. Comme si au-delà, il ne s’agissait plus que de «gérer la fin d’un parcours». Comme si une carrière n’avait de valeur que si elle grimpe, vite et fort. C’est cette vision linéaire, hiérarchique, étroite qu’il faut briser.
Pour les 50+, les parcours peuvent encore s’inventer: verticalement, horizontalement, en souplesse, en relais, en mentorat, en allègement de la charge. À condition de sortir du carcan des «high potentials» et de créer un vrai Talent Management 50+, ouvert, fluide, ambitieux.
Sinon, à quoi fait-on face? À des employés enfermés dans la même fonction pendant dix ou quinze ans, démotivés, désengagés, voire déclassés. Ce n’est pas une fatalité. C’est une décision organisationnelle. Et surtout: c’est une erreur stratégique.
Pourquoi ne recrute-t-on pas les 55+?
Le paradoxe est saisissant. Dans un contexte de pénurie de compétences, on continue à discriminer les plus de 55 ans à l’embauche. Il suffit d’analyser les annonces: âge implicite des profils visés, formulations biaisées, exigences formelles sans lien avec la réalité des postes. Autant de barrières déguisées qui écartent une partie précieuse de la population active.
Les entreprises doivent se poser les bonnes questions: qui recrutons-nous vraiment? Quelles compétences cherchons-nous réellement? Quels biais persistent dans nos pratiques? Et surtout: quelles pertes subissons-nous à force d’ignorer les richesses des parcours seniors?
Le débat sur les salaires est central. Un bon système de rémunération ne doit pas récompenser l’âge, mais la compétence, la responsabilité, la performance. Rien ne justifie que des profils seniors soient mécaniquement écartés pour des raisons budgétaires. Là encore, c’est une question de choix.
Et après 65 ans? Un tabou de plus à faire tomber
Il existe aujourd’hui une population de seniors qui ne veulent pas s’arrêter. Ou du moins, pas complètement. Ce qu’ils demandent? Du sens, de la reconnaissance, de la flexibilité. Et, surtout, le droit de choisir. Travailler un peu, autrement, autrement dit: contribuer encore, mais selon leurs règles.
Les entreprises peuvent y gagner beaucoup: capitaliser sur l’expérience, transmettre des savoirs, soulager les équipes, éviter des ruptures brutales. Des modèles existent: retraites progressives, missions ponctuelles, emploi sur appel, mentoring, réseaux d’anciens actifs. Encore faut-il s’y intéresser et sortir du tout-ou-rien. Car oui, travailler après 65 ans peut être un facteur de santé, de stabilité émotionnelle, d’utilité sociale. À condition que ce soit un choix, pas une contrainte.
Et si les seniors sauvaient le marché de l’emploi?
À force de courir après les jeunes talents, on finit par passer à côté d’un autre trésor: celui des seniors. Ils sont là, expérimentés, disponibles, souvent motivés. Et pourtant, sous-utilisés, relégués, mis à l’écart. Il est temps de changer de regard, de casser les stéréotypes, de repenser le management de l’âge. L’enjeu n’est pas qu’économique. Il est culturel. Il est social. Il est humain.
Et surtout, il y a une absurdité qu’on ne veut plus taire: on demande aux salariés de travailler plus longtemps… alors même que personne ne veut embaucher les plus de 55 ans. Comment peut-on parler de report de l’âge de la retraite sans s’attaquer d’abord à cette discrimination silencieuse mais massive? Trois exemples parlants montrent à quel point ce retournement de perspective peut porter ses fruits.
Dans l’industrie aéronautique, face à la pénurie de jeunes techniciens qualifiés, certaines entreprises ont rappelé des retraités pour encadrer la formation des nouvelles recrues. Résultat? Une double victoire. D’un côté, un transfert de compétences inestimable, que ni les manuels ni les tutoriels ne pouvaient offrir. De l’autre, des anciens qui retrouvaient un rôle, une reconnaissance, un lien social. Ce qui avait été vu comme un «pis-aller» s’est révélé être une solution durable, efficiente, humaine.
Puis dans les hôpitaux. Lors de la pandémie, de nombreux établissements ont rappelé des soignants retraités. Ces professionnels expérimentés ont permis de soulager les équipes, d’encadrer les plus jeunes, d’apporter une solidité et un sang-froid essentiels en situation de crise. Ce retour n’était pas un simple dépannage: il a démontré la valeur intacte, voire accrue, des compétences accumulées au fil des années.
Et enfin, le géant des cosmétiques a mis en place un réseau d’anciens, le programme «Alumni», et n’hésite pas à faire appel à ses retraités pour des missions ponctuelles, de la formation, du conseil, du mentorat. Résultat: un capital humain préservé, des expertises transmises, une culture d’entreprise qui s’enrichit de ses racines. Ce qu’on avait cru dépassé se révèle indispensable.